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Rencontre internationale

En partenariat avec leurs collègues navarrais, Mme Maiz et M. Aymerich ( professeurs d’histoire-géographie), les élèves et leurs professeurs ont pu porter leurs voix dans une émission de radio associative et rendre compte de l'importance de cette journée pour maintenir la mémoire vivante par la connaissance historique des archives et le témoignage oral (transmis par les enfants de survivants internés ou les témoins directs de la vie de Gurs, ces dernières années). La collecte de différents témoignages, celui de Raymond Villalba, fils de républicains internés à Gurs, membre de l'association Terre de Mémoire et de Lutte, des bénévoles de l’amicale de Gurs (nous remercions en particulier Emile Vallès) et de l’association Terre de mémoire et de lutte, d'E.Marimbordes, habitante de Gurs et créatrice du podcast de Gurs à Auschwitz, leur a permis de construire à leur tour une trace de l’expérience que constitue la visite d’un lieu de mémoire de l’internement et de la déportation et le devoir qu’il suscite de mieux connaître l’Histoire, déterminée par des causes, des conséquences et par suite, une objectivité d’événements historiques fondée sur le constat et la mise en évidence des faits pour remettre en question les lacunes de la mémoire et/ou son caractère subjectif ou relatif.

https://aligrefm.org/podcasts/dialogues-le-podcast-207/dialogues-samedi-26-avril-2025-des-frontieres-ou-des-murs-penser-le-droit-d-hospitalite-episode-3-se-souvenir-des-camps-d-internement-francais-3012

La visite des différents lieux du camp a été très respectueusement suivie par l'ensemble de ces 200 élèves réunis pour célébrer une mémoire commune de la guerre et du destin lié des peuples français et espagnols: le mémorial de l’artiste israélien Dani Karavan construit en 1994, le cimetière, pour mettre un nom sur les visages des victimes, la baraque reconstruite par l'Amicale pour se rendre compte des conditions très précaires et exiguës de l'accueil de ce camp construit en seulement 40 jours, l'étendue de cet espace quadrillé en îlots et ceint de barbelés, qui a interné plus de 60000 personnes pendant 6 ans.

En s’attachant à des vies singulières s’exprimant dans le camp par la musique, l’ébénisterie ou le dessin et la peinture, les élèves ont pu reconstruire l’histoire de vies incarnées et situées, luttant comme elles le peuvent pour leur survie, alors qu’elles sont persécutées “pour rien”, ie-leur opinion politique, leur race ou leur seul caractère d’étranger et de réfugié. En découvrant l'histoire de la famille Marx-Rodriguez dont un des enfants est inhumé à Gurs, ils ont pris conscience des préjugés antisémites tenaces à l’égard des femmes juives internées puis déportées mais aussi de l'espérance que constituèrent les rencontres et la solidarité entre prisonniers de langues et de cultures très différentes. Ils ont pu tout aussi bien apprendre de la vie et du témoignage d'Ehud Loeb, interné enfant à l'âge de 6 ans avec ses parents et sa grand-mère, morte seulement 3 semaines après son arrivée au camp et du travail des associations comme l’OSE, l’oeuvre de secours aux enfants, qui a sauvé les vies de tant d’enfants juifs pendant la guerre. Par son poème écrit à sa visite du Camp à l’âge adulte, E.Loeb devenu historien d’art en Israël, rappelle dans la convocation des fleurs qui poussent sur la tombe de sa grand-mère, les risques qui pèsent sur la mémoire : que l’histoire oublie le mal de la guerre à mesure que les témoins disparaissent ou que l’on embellisse, minimise, banalise ou nie la réalité de la déportation, et par suite de l’extermination.

“Je vois, je ressens Gurs, mes souvenirs m'y ramènent

Là-bas de petites pâquerettes ornent la tombe de ma grand-mère

Gurs est la capitale de tous les pays que je connus

Ce cimetière de milliers de femmes et d'hommes et de mon enfance perdue.”

Poème d’Ehud Loeb, interné enfant à Gurs avec ses parents ( déportés et assassinés) et grands-parents(Il s’appelait Herbert Odenheimer- né à Bühl en 1934 - mort en 2018 à Jérusalem).

Le texte écrit par le philosophe Jankélévitch à propos des crimes imprescriptibles de la Shoah rappelle ainsi l’impératif du respect du droit, même dans la guerre, ainsi que la nécessité de qualifier les crimes contre l’humanité de crimes imprescriptibles, sans amnistie possible. Les plus de 3000 déportés juifs de Gurs vers les camps de la mort ne reviendront jamais:"Oui, le souvenir de ce qui est arrivé est en nous indélébile. Indélébile, comme le tatouage que les rescapés des camps portent encore sur le bras. Chaque printemps, les arbres fleurissent à Auschwitz. Comme partout. Car l'herbe n'est pas dégoûtée de pousser dans ces campagnes maudites. Les printemps ne distinguent pas entre nos jardins et ces lieux de l'inexprimable misère. Aujourd'hui, quand les sophistes nous recommandent l'oubli, nous marquerons fortement notre muette et impuissante horreur devant les chiens de la haine. Nous penserons fortement à l'agonie des déportés sans sépulture, et des petits enfants qui ne sont pas revenus. Car cette agonie durera jusqu'à la fin du monde."Pardonner, 1971, point seuil.

L'après-midi a été ensuite consacré à des échanges féconds autour des monuments nécessaires à la mémoire: patrimoine matériel (mémorial et oeuvres d'art) mais aussi immatériels (traditions orales et spirituelles). Rappelant ainsi l’importance du collectif et de l’engagement politique contre des idées fascistes et racistes, ils ont fait mémoire des solidarités nées à Gurs et de la conscience commune de la précarité qu’imposent la vie de réfugié et d’exilé par la lecture d’une lettre d’H.Arendt, témoignant à son ex-mari G.Anders de l'imprévisibilité et la vulnérabilité extrême de la vie de réfugié balloté de camp en camp, avant le déclenchement de la guerre.“Nous avons perdu notre foyer, c’est-à-dire la familiarité de notre vie quotidienne. Nous avons perdu notre profession, c’est-à-dire l’assurance d’être de quelque utilité dans ce monde. Nous avons perdu notre langue maternelle, c’est-à-dire nos réactions naturelles, la simplicité des gestes et l’expression spontanée de nos sentiments.” H. Arendt (1906-1975), Nous autres réfugiés, 1943. Dans ses vies politiques, Arendt insiste sur la préoccupation pour un monde commun et non le seul espace intime ou privé, quoique celui-ci ait été si durement limité et altéré à Gurs, sans aucune préoccupation pour la dignité des personnes. “Qu’est-ce que j’entends par avoir un esprit politique?(...) Je veux dire par là se soucier davantage du monde – qui existait avant notre apparition et qui continuera d’exister après notre disparition – plus que de nous-mêmes, de nos intérêts immédiats et de notre vie.” C’est ainsi à partir de citations de la philosophe H.Arendt internée à Gurs à la fin du printemps 40, de penseurs et de poètes d’hier et d’aujourd’hui que les élèves ont pu, à leur tour, construire un mur de la paix, objet d’espérance pour les peuples, fruit du dialogue entre les hommes qui reconnaissent la tragédie de la guerre et de l’exil, s’appliquent à en retenir les traces contre l’oubli et pire, contre la négation des crimes et de ceux et celles qui s’en rendent complices. ( Voir M.Decout, Faire trace, essai Corti, 2023)

Publié le 19/05/2025 20:00